L’exil vaut le voyage : ce titre, Dany Laferrière le porte en lui depuis plusieurs décennies. Si l’exil est un thème présent dans plusieurs de ses livres, il lui fallait vivre et maîtriser suffisamment son art pour parler de son exil sans apitoiement. « Si j’ai fait ce livre (dans faire, il y a écrire et dessiner), c’est parce que j’en avais marre qu’on associe uniquement l’exil à une douleur. »
Dans ce troisième roman dessiné, on retrouve ce même enchevêtrement de voix et de lieux qui rendent ces livres si singuliers. New York est sous le regard de la photographe Annie Leibovitz et du peintre Edward Hopper, sans compter ses écrivains emblématiques comme Truman Capote et Salinger. C’est l’occasion, de flâner dans Buenos Aires avec son vieux maître Borges, dans cette « douce rue du faubourg attendrie d’arbres et de couchers de soleil ». Paris a des relents d’ambition et d’alcool en compagnie du romancier haïtien Jean-Claude Charles, cet « homme émouvant». À Cayenne, les pluies abondantes appellent le rhum et la lecture de La Société du spectacle de Debord. On s’émeut autant qu’on s’indigne à lire la lettre de Toussaint Louverture à Bonaparte, en février 1802, minutieusement recopiée par le romancier.
L’exil vaut le voyage est le plus montréalais des romans dessinés de Dany Laferrière. L’arrivée à l’été 1976, le choc culturel, social et climatique, les boulots pénibles et cette chambre « crasseuse et lumineuse ». Se mettre à écrire sous l’insistance du propriétaire du Soleil levant – ce bar où l’écrivain voit passer Nina Simone – pour se donner une prestance auprès des jeunes universitaires de McGill, sans quoi l’hiver est insupportable. Écrire nu, le matin, pendant que l’amante est encore endormie. La rue Saint-Denis – « ma rue fétiche » –, artère de désir et d’évasion où se mélangent les filles, les poètes et les clochards. Où Laferrière s’est senti chez lui, assis dos à la rue, sur un banc du carré Saint-Louis, ce lieu mythique de la littérature québécoise, personnage à part entière de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer.
Par le roman dessiné, Dany Laferrière jumelle son exil aux exils de ses maîtres, il mêle l’intime et l’historique, et surtout il déjoue le regret et la fatalité.